Il y a un an, alors qu’on roulait dans les Alpes italiennes, je complimentais James sur son vélo. Il m’a répondu en souriant « Beau vélo aussi. C’est moi qui l’ai dessiné ! »
Questions-réponses avec le fondateur multi-casquettes du Torino-Nice Rally.
Tu as travaillé chez Genesis, maintenant Pinnacle… Comment passe-t-on de designer à organisateur d’un évènement international ?
L’idée de départ était de trouver un terrain à la Tour Divide : de longues pistes en terre avec de grosses ascensions et des cols classiques, en partie pour tester un cadre que j’avais fait.
Le parcours avait pour but d’être un bon test pour n’importe quel vélo qui se prétend « vélo à tout faire », et beaucoup pouvaient le passer. En ce sens, c’est très ouvert. Aucun vélo n’est « à tout faire » de la même manière, mais certains en font plus que d’autres, et c’est cet aspect du design de vélo qui m’a toujours le plus intéressé.
Peut-être que la conception de vélo et la création de parcours font partie du même voyage : l’exploration de vélos qui élargissent le champ des possibilités.
Pourquoi particulièrement de Turin à Nice, quelle est l’histoire de ce tracé ?
Les deux villes ont des aéroports et elles sont reliées par beaucoup de pistes et de routes d’altitude. La façon dont les stradas militaires et d’autres pistes dans le même genre convergent font que la combinaison « Turin-Nice » fonctionne bien. Genève ou Grenoble feraient aussi de bons départs ; on a déjà rallié Nice depuis ces deux villes, par la route et hors-route. Il y a vraiment beaucoup de potentiel dans la région, mais ce sont ces villes sur lesquelles on s’est décidés. Et puis « Torino-Nice » sonnait bien, ça rappelait les courses classiques.
De plus en plus de courses de gravel apparaissent de partout. Pourquoi opter pour le format rando, et pourquoi gratuit ?
Je dirais plutôt « pourquoi pas gratuit? » Je ne vois pas pourquoi on devrait payer pour un fichier GPX que j’ai fait, c’est juste du partage de fichier et du vélo.
Si ç’avait été un évènement de VTT et que j’avais construit les pistes moi-même, là ça pourrait être différent. Le TNR est à but non-lucratif. Peut-être qu’un jour il y aura besoin de couvrir des frais de fonctionnement, mais ce sera fait de manière à coller à notre éthique.
Pourquoi pas une course? J’ai vécu les plus belles expériences de ma vie sur des courses longue-distance mais je ne vois pas l’interêt d’en créer encore une, ou un parcours de contre-la-montre, il y a déjà tellement d’options. La demande existe pour des évènements ouverts à tous mais il n’y en a pas beaucoup, surtout en longue-distance. Si tu veux quelque chose qui n’existe pas, crée-le, non ?
Le TNR est est tout le contraire d’une course, il célèbre le fait de prendre le temps de rencontrer du monde, de faire des photos et d’apprécier l’hospitalité des refuges, des endroits où manger et se reposer sur la route. Rester un moment à un endroit juste pour être là pour voir le Soleil se lever, ce genre d’attitude.
On fait plus de rencontres quand on n’a pas la pression de rouler vite. Bien sûr, on peut faire tout ça en course aussi, en roulant en milieu ou queue de peloton… Je pense juste que c’est l’occasion de voir ce qui se passe lorsqu’on retire tous les paramètres d’une course et que tellement de profils de cyclistes différents se rassemblent.
En un an, le nombre de participants a quasiment doublé, en passant de 70 à 130. Tu n’as pas peur qu’il devienne de plus en plus difficile de « ne pas laisser de trace » s’il double encore l’année prochaine ?
Oui, carrément. Bonne question. Il n’y a rien de plus important pour moi que de ne pas laisser de trace, se faire remarquer le moins possible en passant et laisser une bonne impression aux gens qu’on croise sur la route.
Je me souviens de la mort de l’Oregon Outback, c’est vraiment dommage et ça nous montre ce qui peut arriver. Le fait de partager un centre d’interêt ne signifie pas partager le sens éthique. J’espère vraiment que le TNR ne finira pas comme ça.
Je suppose que, du fait que le TNR ne soit pas une course, il développe un esprit plus festif. C’est super, mais ces risques sont là. Je n’espère pas, je ne pense pas, mais j’ai déjà vu sur les réseaux sociaux des posts de feu de camp là où je ne pense pas que ce soit nécessaire. Ce sont certainement de bons moments, mais la pente est savonneuse.
De la même manière, il y a ceux qui plantent leur tente au bord de la route ou à la vue des maisons : ça passe si c’est fait de nuit et que le camp est levé à l’aurore, mais en plein jour, on a plus de chances de se faire remarquer. Pas la peine de se les chercher. Je ne veux pas être moralisateur, désolé, ce n’est pas le but… Simplement si on est plus de 150 l’année prochaine, on se doit de tout faire pour ne pas laisser de trace.
Une impression négative dans l’esprit de quelqu’un peut durer plus longtemps qu’une trace de brûlé au sol.
Appliquons la règle #1, et souvenons-nous que -à tort ou à raison- on n’est pas juge de ce qui fait de nous un con, ce sont les gens qu’on rencontre qui le sont. Bref, désolé si tout ça sonne négatif. Il faut juste en parler avant que ça devienne un problème.
Tous ceux à qui j’ai parlé sur la route étaient vraiment positifs quant au Rally et je suis sûr que je suis juste protecteur et prudent. Je n’ai pas rencontré une seule personne pendant le ride par qui on ne serait pas tous heureux d’être représentés. Même Andy Cox a été sponsorisé et est devenu un modèle pour tous les bikepackers.
As-tu remarqué des différences avec le 1er Torino-Nice Rally? Dans l’ambiance, les profils et origines des riders, les équipements…
En fait, c’était assez similaire, c’était génial. Une grande variété de vélos, de participants, d’âges, de tout.
Beaucoup plus de nationalités étaient représentées cette année. Ca m’a fait vraiment plaisir de revoir des gens que j’avais rencontrés pour la première fois l’année dernière. J’ai vu plus de participants avec de gros pneus , et je suis sûr que ça augmentera encore l’année prochaine…
En plus de présenter un risque d’incendie, les feux de camps peuvent abîmer la faune et la flore durablement.
Quelques idées pour limiter les dommages :
-Utiliser un foyer existant si possible.
-Le feu hors-sol : isolez votre feu du sol en l’allumant dans un récipient posé sur des pierres.
-Ne brûler que du bois sec, ramassé au sol et pas trop gros pour qu’il s’éteigne de lui-même.
-Si le but est de réchauffer votre dîner, pourquoi ne pas prévoir un réchaud?
-Enfin, la solution évidente : ne pas faire de feu ! A l’heure des vêtements techniques, rares sont les cas où l’on a besoin d’un feu pour survivre.
Bien sûr, une bonne flambée est agréable, elle réchauffe le corps et l’esprit.
Et elle a aussi l’avantage de laisser un fumet particulier à votre sac de couchage !
A propos d’équipement : on voit de tout sur le TNR, depuis celui qui aurait presque emporté l’évier, aux weight-weenies qui finissent en 3 jours. Qu’est-ce que tu estimes absolument nécessaire? Et est-ce que tu transportes quelque chose que même toi considères superflu ?
Absolument nécessaire : des vêtements chauds pour grimper sous la pluie et en altitude, des pièces de rechange et des outils -et savoir s’en servir- pour réduire le risque de devoir abandonner.
J’ai eu besoin des mes vêtements chauds quand notre petit groupe a décidé de s’envoyer sur la Via Del Sale alors qu’il pleuvait. Il a fait froid ! Mais ç’a aussi été le meilleur jour du voyage parce qu’on a dépassé de nos zones de confort et on s’en est sortis.
C’est peut-être qu’une balade à vélo sur des pistes où on pourrait passer en voiture, mais la montagne -surtout à plus de 2000 mètres- oblige à penser sécurité.
Superflu… Comme une bouteille de Bourbon ? Ahah non, c’était super! Ca me donne des idées…
Loin d’être aussi extravagant, j’avais du café et un réchaud ultralight. Je n’en ai pas réellement besoin, mais j’aime bien prendre un petit quart d’heure le matin, assis dans mon duvet, avec un café bien chaud et une jolie vue. Il n’y a pas beaucoup de meilleures manières de commencer la journée.
Je n’emporte pas grand-chose sur ce genre de sortie, la sobriété fait partie du charme. Les petits plaisirs comme ce café du matin, ou des écouteurs et une paire de chaussettes chaudes pour se mettre au lit. La vie simple.
L’année dernière, je t’avais dit que le TNR pourrait devenir un parcours classique, comme le Highland Trail ou le Tour Divide. On dirait que c’est ce qui se passe : beaucoup de monde le fait en « off ». Tu en penses quoi ?
C’est super, je suis heureux que les gens apprécient ce type de rando, et les grosses ascensions valent le coup !
C’est un tracé ouvert, alors pourquoi pas le faire quand on a le temps, tout le monde n’est pas forcément libre en septembre. Et je trouve que la qualité des photos qu’on peut voir des riders qui passent avant nous donne envie, la région est tellement belle.
Il n’y a pas de meilleure pub pour un parcours que des images dans lesquelles on voudrait rouler.
Quels sont tes projets pour l’avenir? Tu vas continuer à améliorer le parcours, peut-être créer autre chose ?
Je vais peaufiner le parcours, lisser certains détails et essayer d’améliorer la continuité. Ne pas s’enflammer sur les sections cassantes, ne pas s’aventurer trop loin sur les routes un peu trop passantes, ce genre de choses.
Ca peut paraître bête, mais ça devrait être comme un bon film : une introduction dramatique qui capte l’attention, une construction constante avec quelques retournements de situation, et une bonne fin.
Donc je pense qu’il y a quelques petits détails qui pourraient être améliorés, ou avoir un meilleur enchainement. Ca fait 3 fois que je roule ce parcours, je commence à mieux le sentir. Les bases resteront les mêmes, ça marche tel quel. Quelques sections optionnelles pourront être ajoutées, et le départ et les 10 premiers kilomètres peuvent aussi êtres modifiés au cas où le nombre de participants augmenterait, c’est faisable. A part ça, je pense juste laisser l’évènement évoluer naturellement et essayer de garder ce qui en fait ce qu’il est.
Un rally me suffit, pour l’instant.
En plus, j’ai ce design de vélo que je voudrais perfectionner… Ce « vélo à tout faire ». Je pense qu’il est aussi impossible de le rendre « parfait », que de résister au défi de se rapprocher de la perfection. Le TNR semble être un bon terrain d’essai.
Le TNR soutient la Smart Shelter Foundation, qui procure des techniques de construction antisismique aux plus démunis, en particulier au Népal. Parmi toutes les ONG qui existent, comment t’es tu lié à celle-là ?
J’ai rencontré Martijn par hasard au Népal en 2008. J’étais en randonnée, juste un guide népalais et moi. J’avais pu me libérer tout un mois, et j’avais toujours voulu voir l’Himalaya de près.
Martijn (le fondateur de SSF) et moi étions dans l’Annapurna au même moment, il m’a vu monter un petit abri pour passer la nuit près de la fin du glacier sous le sommet principal de l’Annapurna, et on a discuté. J’ai trouvé son histoire passionnante.
Parfois (comme quand j’ai décidé de ce voyage au Népal) je trouve que mon travail dans les produits, la revente, les marques -le consumérisme quoi- n’apporte pas beaucoup, voire rien pour changer le monde… Et là, on a quelqu’un qui a laissé tout ça derrière lui et utilise son expertise et ses techniques d’entreprise sociale pour améliorer la vie des autres.
Le TNR n’est qu’une toute petite part du soutient que la Smart Shelter Foundation mérite et nécessite, mais quand même, je suis vraiment reconnaissant envers tous ceux qui y participent à travers le rally.
Cette année, on a levé presque cinq fois plus d’argent que l’année dernière, un grand résultat et une grosse motivation pour continuer à travailler sur l’évènement.